Henri Ibanez

1931-1941 :

la guerre civile – l’exil.

Henri Ibanez naît à Barcelone la 3 mars 1931. Son père Catalan, héritier d’une vieille tradition familiale est imprimeur et éditorialiste. Sa mère aragonaise, se consacre à sa famille. La quiétude des premières années est mise à l’épreuve en 1936. La guerre civile ravage l’Espagne. Son père, militant républicain actif, a tout à redouter de la victoire de Franco et, en 1939, peu avant la chute de Barcelone, pour éviter l’arrestation il s’exile vers la France avec sa famille. Les Pyrénées franchies, la famille est séparée. Le père est envoyé au camp de Septfons, la mère et ses trois enfants dont le jeune Ibanez sont conduits dans un refuge à Bayeux et, un mois plus tard, dans un camp de réfugiés près d’Arromanches, dans le Calvados. Univers quasi concentrationnaire, avec ses barbelés, ses gardes sénégalais armés, sa nourriture plus que frugale, le froid, la paille pour literie… L’enfant, puis l’homme en resteront profondément marqués, vouant une hostilité jamais démentie à tous les totalitarismes et à toute atteinte à la dignité de l’homme. L’humanisme sincère d’Ibanez se nourrit aujourd’hui encore de cette douloureuse expérience.

1941-1952 :

Passion pour la peinture.

Son père est bien introduit dans les milieux républicains espagnols du sud de la France. Il jouera ainsi le rôle d’interprète auprès de certains dirigeants politiques dont le président Aarau. Libéré du camp de Septfons, contrairement à de nombreux membres de son entourage, il refuse le départ vers l’Amérique du sud. Il trouve une maison et un emploi dans une imprimerie à Montauban et obtient que sa famille quitte Arromanches et le rejoigne.

Ibanez à dix ans. La stabilité familiale est enfin retrouvée mais une meurtrissure nouvelle s’ajoute. Les premiers papiers qui lui sont accordés, portent la mention « Henri Ibanez » et non « Enrique Ibañez ». L’enfant a le sentiment que la guerre lui a volé son identité. Il ne corrigera jamais l’erreur.

Cette altération orthographique symbolisera pour lui l’appartenance au monde des meurtris et des déracinés et renforcera son sentiment de solidarité avec toutes les victimes de toutes les guerres.

Il est intéressant à noter qu’à cette époque, Ibanez ne parle que l’espagnol. Pour communiquer hors de sa famille, il s’est forgé un outil : le dessin. Les mots, les idées, tout est traduit en image. Il dessine, il peint avec n’importe quoi sur n’importe quel support. A onze ans il réalise sa première toile et ne cessera plus jamais de peindre.

Durant toute sa scolarité, il n’a qu’une obsession: la peinture. Il décide donc d’entrer aux Beaux-arts à Toulouse. Sa famille ne pouvant financièrement assumer cette charge, il travaillera pour financer sa formation.

PICASSO,
1951 Portrait d’Ibanez

En 1947, sur présentation de quelques œuvres, Ibanez entre à l’école des Beaux-arts. Il dévore littéralement ses études et la vie. Il suit le maximum de cours (dessin, peinture, sculpture, architecture…). Il se passionne pour l’histoire et l’histoire de l’art, multiplie les voyages à Paris où il fréquente l’ »Atelier libre » et obtient, à l’issue de sa formation, de nombreux prix dont le Premier Prix de peinture.

Dans le même temps, il travaille, réalise des décors de théâtre, fait de la musique avec des membres du « Hot Club de France », découvre l’archéologie et la paléontologie, participe aux fouilles des grottes du Sud-Ouest auprès de l’Abbé Breuil. Grâce au mécénat local, il expose à Toulouse, Montauban, et Paris. En 1948, envoie trois œuvres à la Biennale de Sao Paolo où il restera exposé avec Picasso et Dali entre autres. Il passe les étés de 1951 et de 1952 à Vallauris dans l’atelier de Madura où il étudie la céramique et côtoie Picasso. Il a vingt ans et ne doute de rien.

Picasso réalise deux dessins : portrait du jeune Ibanez qui l’encourage à travailler, travailler, travailler…
Ibanez voue une grande admiration à Picasso qui sera tout au long de sa vie artistique sa référence majeure.

1952-1972 :

Puycelsi, l’explosion créatrice.

Alors qu’il explorait la campagne et les grottes à l’occasion de fouilles archéologiques, il découvre et s’éprend d’un petit village médiéval pratiquement en ruine : Puycelsi. Il décide d’y vivre. Il achète une maison, la restaure et installe son atelier de peinture et de céramique au cœur des vieilles tours d’une capitainerie. Il mènera, durant vingt ans une vie frénétique.

Il sera tout à la fois: peintre, sculpture, céramiste, paléontologue, écrivain, architecte, bâtisseur et restaurateur de maison, créateur et président du Syndicat d’initiative de Puycelsi, fédérateur (avant la lettre) de communes, initiateur du festival de Gresigne, agriculteur… Il fréquentera, des personnalités qui hantent la région, l’Abbé Henri Breuil, un des plus grand paléontologues et préhistoriens français, Noël Arnaud illustre pataphysicien et oulipien, le poète et écrivain Georges Herman.

25 mars 1958- Musée Goya à Castres
Albert Sarraut (président de l’Union Française)
Paul Bacon ministre du travail et Jacques Villon visitent l’exposition d’Ibanez

Il côtoie André Breton son voisin de Saint-Cyr-la-Popie. Celui-ci voit en lui « peinture surréaliste ».Il l’agrège d’autorité à son école, mais l’exclura bien vite, du mouvement, sans autre forme de procès, lorsqu’ Ibanez aura «l’audace» de lui reprocher de soutenir que les peintures rupestres de Cabreret et de Lascaux étaient des faux.

Il étudie longuement l’histoire des religions, s’enthousiasme, à travers elles, pour la symbolique des couleurs et des formes. Il concrétisera cette réflexion en écrivant sur la peinture et les couleurs un livre intitulé « Psychopoésie ».

25 mars 1958- Musée Goya à Castres
Albert Sarraut (président de l’Union Française)
Paul Bacon ministre du travail et Jacques Villon visitent l’exposition d’Ibanez

1980

Ibanez ressuscite à Puycelsi l’art des potiers Néolithiques,

Ses préoccupations majeures restent la peinture et la céramique.
Prolongeant ses travaux de Vallauris, il va tenter de retrouver les techniques des potiers du néolithique

Dans ce dessein, il recherche les terres spécifiques employées, à l’époque, dans la région. Cette démarche lui permet d’identifier des emplacements de fours que nos ancêtres utilisaient pour cuire leurs pièces.

C’est à partir de fragments de poteries néolithiques retrouvés sur les lieux qu’il étudie leur façon de pratiquer l’estampage, la barbotine, les collages, et les effets de finition par le frottage des suies sur la terre.

S’appuyant sur les techniques primitives, il construit des fours à bois qui lui permettent de valoriser la couleur des oxydes et couvertes selon les essences utilisées.

Quand à sa recherche picturale, elle est une étude systématique des «ismes » et de leurs particularités ; une quête fiévreuse de l’étude du passé, de l’évolution des sociétés et du rapport qu’elles entretiennent avec la peinture. Cela influence, dans son œuvre, le jeu des rythmes graphiques et la force expressive des couleurs.

Tout au long de ces années, la peinture d’Ibanez est exposée en France et à travers le monde : Paris, Rome, Turin, Alger, Sao Paolo,…
Nous devons à cette période des œuvres telles que : « Coquelicots », « Amoureux des poteaux télégraphiques », « Taureau d’Altamira », « Femme aux tréteaux », « Albumine », « Soleil noir »,….

22 avril 1972 Film réalisé en direct à la télévision par Jacques Toulza

1972-1984 :

1972-1984 : Retour à Paris.

En 1972, Ibanez vient s’installer à Paris avec sa jeune femme et ses deux filles.
Il installe son atelier rue Véron, à Montmartre. Professeur de dessin et de peinture, il organise en dehors de son poste officiel à l’Education Nationale des séminaires de céramique.

L’atelier Henri Desprest édite plusieurs de ses lithographies. Il crée des décors de théâtre, notamment à Paris pour le Théâtre des Champs-Elysées et à Barcelone pour la Théâtre des Marionnettes.

Henri Ibanez, 1976 Atelier Henri Deprest

Au cours de cette même année 1972, l’O.R.T.F., sous la direction de Jacques TOULZA, réalise un film sur la création en direct d’une toile par Ibanez. Il sera primé « Meilleur Film Artistique de l’année ».

Mais surtout, il peint et approfondit, par ses lectures et ses écrits, sa réflexion sur son art. La frénésie d’action qui la dévoré à Puycelsi s’apaise quelque peu. Ibanez, avec la maturité, met de l’ordre dans sa vie. Si son œuvre ne perd rien de sa force ni de sa fougue, elle gagne en profondeur, en « intensité dramatique », pour reprendre l’expression commune des critiques de l’époque et confine parfois au vertige métaphysique.

Pratiquement chaque année, de 1972 à 1980, une à trois expositions sanctionnent cette fièvre créatrice et le public comme les critiques encensent des toiles majeures, telles « Le Bœuf écorché », « Esthétique », « La Maestranza », « Endothermie », la nouvelle série des « Cinq filles à marier ».

1980 :

1980 : Le tournant.

Dans les années soixante, Ibanez avait traversé une crise qui lui avait fait refuser le jeu du marché et, dix ans durant, il n’avait plus exposé.
En 1980, de nouveau il est « malade de la société » pour reprendre ses termes.

Au lendemain d’une exposition, à la Galerie 54 Faubourg Saint Honoré particulièrement réussie et saluée par la critique et le public parisien venu nombreux, l’artiste, est profondément troublé. La vente de ses toiles et les « marchandages » qui les entourent lui donnent le sentiment d’une complicité et d’une participation à des turbulences telles que la globalisation de l’économie, les crises, et les inégalités sociales qui en résultent.

Henri Ibanez, 2008

« Je me demandais si je n’avais pas choisi le mauvais camp » dira-t-il.

Si l’artiste ne doute ni de lui, ni de son œuvre, il se sent trop solidaire de l’ensemble de ses concitoyens pour engager sa propre responsabilité. C’est à ce moment là qu’il décide de ne plus exposer.

En 1984, il choisit de s’éloigner et part s’installer en Espagne avec son épouse. Ibanez tiendra parole et pendant plus de vingt-deux ans il travaillera seul face à lui-même dans le calme de son atelier.

1984-2002 :

Le Volcan en sommeil.

Dans les années soixante, Ibanez avait traversé une crise qui lui avait fait refuser le jeu du marché et, dix ans durant, il n’avait plus exposé.
En 1980, de nouveau il est « malade de la société » pour reprendre ses termes.

Au lendemain d’une exposition, à la Galerie 54 Faubourg Saint Honoré particulièrement réussie et saluée par la critique et le public parisien venu nombreux, l’artiste, est profondément troublé. La vente de ses toiles et les « marchandages » qui les entourent lui donnent le sentiment d’une complicité et d’une participation à des turbulences telles que la globalisation de l’économie, les crises, et les inégalités sociales qui en résultent.

2002 :

Retour en France.

Ibanez s’installe de façon définitive dans sa maison du Sud Seine et Marne ou l’attend son atelier .Il se remet au travail heureux de ses retrouvailles avec la campagne et la terre qui tout au long de sa vie ont occupé une place importante. S’il accepte quelques expositions c’est uniquement par amitié à aucun moment il ne souhaite revenir dans les circuits complexes de l’Art Contemporain.

Ibanez est un homme d’apparence tranquille et réservé ses passions, ses tourments, ses inquiétudes et ses certitudes, il les exprime avec force dans ses œuvres

Dans les anciens ateliers Mourlot, où les plus grands artistes tels que Picasso, Chagall, Miró ont travaillé, l’artiste réalise cinq lithographies sur pierre en 2003.